REVOLUTION A VILLELAURE - Chapitre V

Publié le par Monique du Restouble

CHAPITRE V

 

LES ANNEES BLEUES ET LES ANNEES BLANCHES

 

 

Dans son intéressante « HISTOIRE DE VILLELAURE », J.C. REY a qualifié la période révolutionnaire de « terre à terre ». L’expression est bonne, le vocabulaire juste, au sens propre comme au sens figuré. Cependant, il ne faut pas faire abstraction totale des évènements qui, à Villelaure comme dans toute la France, ont marqué un changement radical de la société paysanne. Incontestablement, au départ, le « moteur » du mécontentement populaire est d’ordre économique. En1780, Villelaure est en pleine croissance. Le village se construit en maisons vastes et confortables (l’agglomération n’est pas « intra-muros »), on ne connait pas de disette et l’excédent des récoltes couvre largement l’endettement. A partir de 86 tout change : les finances du Royaume sont à la banqueroute, les oliviers gèlent, les récoltes de céréales sont maigres, les prix augmentent, et les impôts aussi…

C’est aussi à cette date que Forbin accapare les pradas. Le moment est plutôt mal choisi !

 

Tout devient sujet de plainte à l’encontre du Marquis : Le nouveau canal de Janson déverse dans la plaine des eaux boueuses « qui nuisent à la salubrité de la grenaison des bleds par les brouillards qu’elles attirent » ; la carraïre de Villelaure à Pertuis est coupée par les débordements des ruisseaux d’arrosage du « Vieux Château » ; la Durance sort de son lit en 1790, c’est à cause des forts qui ne sont pas parallèles…etc…

            Le petit paysan est mal préparé et mal équipé pour « entrer » dans l’agriculture nouvelle. L’arrosage artificiel demande un modelage du sol qui ne peut se faire, à cette époque, que par l’utilisation d’une grosse charrue, tractée par un attelage puissant. La plupart des exploitants n’ont que des araires à couteau droit, tirées par un âne ou un mulet. L’assolement, par principe, exige des cycles de cultures de 3 à 10 ans. Les ménagers, dans leur grande majorité, vivent difficilement d’une année sur l’autre. Il ne leur est pas possible d’attendre 3 ans, même avec l’espoir de quadrupler leur récolte de blé. D’ailleurs, la plupart de leurs terres sont dans les coustières et leurs superficies sont trop petites pour en faire des prairies.

Mais il y a plus grave : On recense à Villelaure en 1790, mille quatre cents brebis. Les fermiers du Marquis disposent d’un millier de têtes, la Communauté de quatre cents seulement. C’est tout de même 3 ou 4 bêtes par famille, auxquelles il faut ajouter les agneaux, les chèvres et quelques cochons. Le troupeau du Marquis peut partir en estive. Si on lui supprime les iscles, le troupeau communautaire doit se contenter des patis, où l’herbe est bien maigre en été.

Le marquis possède des prairies, naturelles ou artificielles. Il peut engranger son foin. Le paysan doit garder ses quelques éminées de terre pour des cultures de subsistance, indispensables au printemps pour assurer la « soudure » avec les récoltes nouvelles. Le Marquis calculele revenu de son troupeau en Livres, le paysan compte sur le lait pour nourrir ses enfants, et sur la laine pour les vêtir. Le préjudice de la confiscation des pradas prend un aspect dramatique.

            Le problème des dégâts occasionnés par les troupeaux sédentaires ou transhumants est l’objet de nombreux débats revendicatifs à cette époque. Villelaure est sur la grande draille entre la Crau et la haute vallée de la Durance. C’est l’étape de regroupement obligatoire (à Capite) pour le passage du bac de Gondard (pont de Cadenet actuel). Déjà les cahiers de doléances de Pertuis demandent des sanctions fermes pour les bergers laissant divaguer leurs troupeaux, et proposent la « compastuité  générale », c'est-à-dire le droit de pâture dans les terres du Seigneur. Le 22 Prairial de l’An II, le Maire de Villelaure fait verser 10 sols par bête à titre de caution, en prévision de tous dommages éventuels (32).

Les iscles fournissent du bois, de médiocre quantité mais à croissance rapide. (Le Seigneur a d’ailleurs donné à ses sujets le droit de « bucherer »). La perte de cet avantage va provoquer l’abattage de chênes blancs dans les vallons et terres « gastes » de Luba, de Ligneu et de La Ferrier. (Le déboisement général tourne à la catastrophe nationale, et il faut attendre encore quelques décennies pour que l’exploitation systématique des mines de charbon assure la relève (33).

Le paysan est confronté à ces problèmes vitaux tous les jours, ce qui forcément entretient un ressentiment à l’encontre d’un homme (Lou Fourbin), qui lui fait du mal sans même le connaître.

            Mais l’esprit révolutionnaire ne procède pas simplement de ces intérêts matériels, aussi vitaux soient-ils. Le petit paysan de cette époque est analphabète. A Villelaure, dix à quinze personnes seulement savent signer de leur nom très maladroitement. Peut-être cinq ou six d’entre-elles sont capables de lire et de comprendre le français, mais l’information passe. Les gens se voient dans les foires et les marchés, ils parlent dans les réunions ou les veillées. Les « lettrés » assurent la traduc tion. Il ne commentent pas Voltaire ou Rousseau, mais les pamphlets et les estampes satiriques se gaussant de la noblesse ont une bonne audience populaire, même au fond des campagnes. La révolte, unanime, contre les droits féodaux en apporte la preuve irréfutable. Il n’y a pas de Bastille à Villelaure, et personne n’a subi les outrances de la lettre de cachet, (tout au moins depuis la fin des guerres de religion). Aussi est-ce la recherche de la dignité plutôt que l’accès aux libertés civiques qui mobilise le manant. On peut lire dans les cahiers de Pertuis : « …abolition de l’hommage à genoux »… « …sera fait un règlement général sur le port d’armes afin qu’il ne pourra être prohibé à ceux dont l’état ou la fortune ne permet pas de soupçonner qu’ils ne puissent abuser »… « …la chasse étant de droit naturel, chacun pourra chasser dans sa propriété »… etc.

Ces revendications sont somme toute modestes, et dans l’esprit de leurs auteurs, les notions d’égalité et de liberté associées respectent la hiérarchie sociale. Le premier conseil municipal révolutionnaire est élu le 7 février 1790. Sa première séance se termine par une motion de remerciement « aux sages et immortels décrets qui régénèrent la France et délivrent le peuple de campagne du joug de la féodalité ». (19)

            Quand il est question d’argent, la demande est plus formelle : le paysan désire l’abolition pure et simple de tous les privilèges seigneuriaux, l’accès à la propriété sans entrave  et l’égalité devant l’impôt. Il considère cela comme un droit inaliénable et réclame justice.

Le pouvoir politique local manœuvre avec prudence. Par ses actes, il montre bien sa volonté de satisfaire du mieux possible les désirs de ses mandants, mais dans la droite ligne du pouvoir central.

            Cette nouvelle municipalité est apparemment favorable à une royauté constitutionnelle. Ses premiers actes sont de faire dire des messes pour la santé du Roi, de s’occuper des biens du clergé et de fonctionnement de l’église. Elle réclame vivement la désignation d’un prêtre secondaire, et le bon curé Roland prête serment à la Constitution le 1er novembre 1790 (Il est le premier du Département des Bouches du Rhône).(13). Et comme il faut être égaux devant Dieux, on met des chaises à l’église (12 décembre 1790). 

            Dans les conseils, il est surtout question de la mise en place des impôts fonciers « nouveaux style », de la vente des biens nationaux d’origine cléricale, en faisant bien remarquer que l’église paroissiale a été reconstruite en 1746 et agrandie en 1772 grâce aux subsides et aux dîmes de la Communauté.

Publiquement, l’esprit révolutionnaire se manifeste par des fêtes et des proclamations au peuple réuni dans l’église (pourquoi pas puisqu’elle lui appartient). On plante l’arbre de la Liberté, sur la place de l’église, qui est aussi la place de la Mairie. (Par précaution, en bons paysans, on en plante deux… La précaution est sage car un arbre est abattu par le vent en 1795, mais il en reste un).

            On est très satisfait de l’abolition des privilèges, beaucoup moins du rachat obligatoire et légal des terres que l’on convoite. Mais les prétentions du Marquis sur les pradas semblent malhonnêtes, et il est possible de faire intervenir la justice du peuple, en faveur du peuple. Rien d’excessif dans ce comportement. D’ailleurs Forbin ne paie pas d’impôt pour les terres récemment défrichées…

            Le Roi tente de fuir pour rejoindre les Nobles émigrés. C’est Varennes, suivi le 16 avril 1792 de la suspension du pouvoir exécutif, après une année de confusion et la recherche d’un compromis difficile.

Le 22 juillet, le Maire de Villelaure applique les consignes parisiennes : la Patrie est déclarée en danger. 72 volontaires, des hommes de 20 à 60 ans, forment la garde nationale. La commune achète à Aix pour 529 Livres de fusils, sabres et gibernes.

A pertuis, la situation est explosive. La municipalité est divisée. La situation économique médiocre et la lutte entre le clergé constitutionnel et « les réfractaires » amènent des affrontements directs, exploités par les sociétés patriotiques. Il y a des morts et des arrestations. Le château de la Tour d’Aigues est mis à sac et brûlé le 14 septembre 1792.

A Villelaure, le 9 octobre 1792 le Peuple est convoqué dans l’église pour apprendre l’abolition de la Royauté.

Les évènements suivent inexorablement leur cours :

« Ce jourd’hui 28 janvier 1793… la tête du traitre Louis Capet est tombée sous le glaive de la Loy. Nous avons fait assemblée les citoyens au son de la closse (sic) et du tambour dans l’église pour annoncer l’heureuse nouvelle de la mort de Louis Capet qui fera le bonheur des français et qui consolidera pour toujours notre heureux gouvernement républicain et de suite les citoyens ont battu le tambour ont fait des farrandoulles en criant vive la République et nous nous sommes soussignés : Jacquiers, Guion, Guérin,Vague, Pignoly »(32).

Mais une grande partie de la basse Provence entre en dissidence ouverte contre le pouvoir jacobin. C’est le mouvement fédéraliste, qui se manifeste timidement à Villelaure, par la création d’une « section » et qui se heurte immédiatement à la communauté légale. (Séance du 214juin 1793).

L’armée fédéraliste tient Cadenet. Pertuis, d’abord occupée par les rebelles marseillais est presque immédiatement « libérée ». Villelaure, « sur le front » est miraculeusement épargnée, sans doute grâce à un jeu subtil de ses élus. La Convention réagit durement. L’armée jacobine s’empare de Marseille, puis de Toulon, la dernière capitale fédéraliste, en décembre 93.

A Villelaure, on fête l’évènement le 1er Nivose de l’An II, et la commission d’épuration jacobine (dite de sûreté générale), constate « qu’il n’existe aucune personne suspecte dans le pays’…

            Devant les menaces, « la Patrie en danger » réclame des soldats. Dix volontaires se présentent : Charles Guindon, Jacques Monclard, Jean Martel, Antoine Jacquèmes, Jacques Reinaud, Simon Turcan, Etienne Bécarud, François Tournel, François Jaumont, Joseph Vague. Il n’y eu pas de déserteur, un seul d’entre-eux réintégra ses foyers au bout d’un an pour cause de maladie. La commune vote un secours aux parents des volontaires le 13 Prairial. (Le bataillon du Luberon fut intégré dans l’armée dite des Alpes et d’Italie).

Le 26 Messidor de l’An II, le corps municipal et le comité révolutionnaire organisent la Fête de « l’Etre suprême » sur la place de l’arbre de la liberté. Jacquiers termine son discours par : Vive la République, Vive la Montagne ! C’est la dernière signature de Jacquiers sur le registre des délibérations : 13 jours plus tard, le 9 Thermidor, (27 juillet 1794), Robespierre tombe. La phase dure de la Révolution est terminée. A Villelaure, comme dans toute la Provence, les ultras vont laisser la place aux modérés, et, chose curieuse ce sont presque les mêmes. Louis Michel Jacquiers est cependant trop compromis. Il doit laisser la Mairie à un autre notable de Cadenet, Jean Baptiste Antoine Cousin. Agé de  56 ans, c’est le frère de Charles Cousin, élu député par le clergé à l’Assemblée Nationale de 1789, puis émigré en Italie après avoir refusé de prêter le serment constitutionnel. Le nouveau Maire est donc plutôt dans le parti « des blancs », mais dans la liste des officietrs et des conseillers municipaux on retrouve les mêmes noms d’avant Thermidor : Bosse, Vague, Pignoly, etc… On lit dans le registre des délibérations, le 3 Frimaire de l’An III, (24 novembre 1794) : « Ce sont présentés les citoyens Michel Jacquiers ( !) et Auguste Beyrès Commissaires délégués par l’Arrêté rendu le 22 Brumaire par le représentant du peuple Goupilleau à l’effet d’épurer et compléter les autorités constitutives du district d’Apt. »

Le 23 Ventose de l’An III, le district donne l’ordre de désarmer les citoyens suspects : il n’y en a pas…

Le 25 Germinal de l’An III, (16 avril 1795), les représentants du Peuple, Jean de Bry, Duprat, Chabran et Caumon, « considérant que la paix et la tranquillité règnent dans la Commune de Villelaure, que l’ordre y est parfaitement conservé et les lois exécutées, ce qui est dû à la sage administration du Conseil Général de cette Commune… arrêtent qu’il ne sera fait aucun changement… ».

Avec l’entrée en vigueur de la Constitution de l’An III, le 17 août 1795, la Communauté, trop petite, est rattachée au canton de Pertuis. J.B. Cousin siège dans la nouvelle assemblée cantonale. Mais Pertuis est toujours en état de révolte. Profitant d’un découpage électoral plus équilibré, Villelaure opte pour son rattachement au canton de Cadenet. (Novembre 1795). Un sentiment de « ras le bol » commence à se manifester chez le paysan de Villelaure, qui n’attend plus rien de la révolution. Les « volontaires » sont choisis par tirage au sort, et on commence à faire la chasse aux déserteurs. Bien que la situation reste confuse et terriblement instable, sur le plan purement politique le courant révolutionnaire s’affaiblit. Le 25 Messidor de l’AN VIII, (14 juillet 1800), on fête « le grand espoir de la concorde, c'est-à-dire de la pacification générale.. » et le Maire, Cousin, ajoute : « pour tous les exploits étonnants qui ont eu lieu depuis quatre mois et qui doivent nécessairement nous procurer la paix générale ».(32). (Après le coup d’état du 18 Brumaire, Bonaparte vient d’installe le Consulat. L’armée est victorieuse dans le Nord et en Italie, mais la paix est encore bien lointaine…).

            Au cours de cette décennie historique, le « Conseil Général de la Communauté », préoccupé par les remous de la politique parisienne, n’a pas failli à sa tâche sur le plan local : Il a fallu subvenir aux besoins de la population par des achats de blé et de seigle, (pour la semence mais aussi pour assurer la soudure), notamment en 90 et 94. La Durance, toujours elle, et le Marderic ont donné bien des soucis et grevé les finances : 6400 Livres de travaux en 91, presque autant en 93.

On vote un premier secours aux familles des volontaires le 13 Prairial An II. Les terres récupérées sont partagées par le tirage au sort public.

On gère les biens nationaux : Le sieur Colle, agent d’affaire du Marquis est trainé en justice car il ne paye pas les impôts (9 janvier 92). Deux fermiers sont « virés » pour ne pas avoir rempli leurs baux envers la Communauté (1er septembre 93). Le conseil ne néglige pas l’instruction et la culture générale : L’An II, et pour 500 Livres, Joseph Jardin de Cadenet a l’honneur d’être le premier instituteur officiel de Villelaure, « afin d’enseigner aux enfants les préceptes et maximes relatives aux lois et à la morale républicaine ».(19).

 On capte une source et le 1er Frimaire de l’An IV, la « Fontaine du Juif »( ?) est inaugurée. (Peut-être dans le haut quartier).(32).

            Aux affaires de la Commune, la tâche est rude et ingrate. Cousin démissionne le 15 Vendémiaire de l’An IX. Il donne ses raisons : « à 64 ans l’épreuve est pernicieuse pour la santé et mes récoltes sont nulles… »(32). Il est remplacé par Pancrace Vague, le signataire du compromis historique des Pradas, assisté de J.B. Guérin, Curel et toujours Bosse, Pignoly etc… Le 29 Vendémiaire de l’An XII, c’est Curel qui est Maire, assisté de ? Guérin, Vague, Pignoly, Durand, etc…

            Six mois plus tard, Bonaparte devient Napoléon 1er.

 

(Sources, notes, bibliographies voir ANNEXE II)

 

 

 

(à suivre : CHAPITRE VI)

 

 

Publié dans COUP DE COEUR

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