DEMAIN SERA UN AUTRE JOUR - CHAPITRE II -1911/3

4. LA MACHINE A COUDRE

 

Quelques jours plus tard, Joséphine voit arriver Fartas suivi de son neveu Isaac poussant tant bien que mal la charrette à main, suant, soufflant.

- Mme Ivars ! Bonjour madame.

- Bonjour Fartas. Comment ça va ? Vous livrez dans le coin ?

- Oui, chez vous. J'ai une livraison à vous faire, de la part de M. Ivars.

- Quoi ! Mais il ne m'a rien dit.

- Oui, je sais bien, il voulait vous faire la surprise.

- Mais qu'est-ce que c'est ?

- Ah ça ! Il a bien choisi, c'est du matériel costaud. Vous allez voir.

- Mais c'est bien gros. Et puis ça à l'air lourd. Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?

 - Attendez un peu. On va défaire la caisse à l'intérieur. Ca vient directement de France vous savez. Il a choisi sur le catalogue.

Joséphine est rongée par la curiosité. Fort heureusement, Marie et les enfants ne sont pas là. Au fur et à mesure que Fartas procède au déballage, enlève les paillons qui calent l'engin ils découvrent ensemble d'abord des pieds noirs métalliques, agrémentés d'arceaux joliment forgés ; Puis un cadre métallique noir quadrillé ; La table en bois vernis et enfin le corps d'une machine à coudre. La marque ressortait bien, dorée sur ce fond noir, brillant : Singer.

- Mon mari est devenu fou !

Lorsque Fartas a fini de la monter il lui demande où il doit la placer.

 - Là ! Non ! Plutôt ici...Non tenez, sous la fenêtre. C'est la plus grande fenêtre de la pièce on y verra bien clair pour travailler. Mon Dieu, elle est magnifique. C'est Marie qui va être heureuse lorsqu'elle va rentrer... Merci Fartas. Tu vas bien boire quelque chose ?

 - Non, merci Mme Ivars, il faut qu'on retourne au magasin. On a encore des livraisons à faire aujourd'hui, mais j'ai préféré commencer par vous, il me tardait de voir votre joie.

Mon Quico a perdu la tête !

 - Mais non ! Vous savez, il en a assez de vous voir vous abîmer les yeux à raccommoder tout le temps toutes les deux. Ah ! J'allais oublier, il y a ça aussi. Gardez-les précieusement. Ce sont les papiers de la machine. Le mode d'emploi et le certificat de garantie. Allez, je me sauve. Travaillez bien. S'il y avait quoi que ce soit, vous me le dites hein ! Cet après-midi je vous enverrai Isabelle si vous voulez, elle vous montrera comment on s'en sert.

- Je veux bien, merci Fartas, tu es vraiment très gentil.

Depuis ce jour béni où ils ont gagné à la loterie, ils mangent un peu plus à leur faim. Mais ils n'ont pas oublié les années de vache maigre pour autant. Joséphine a trop été habituée à compter. Elle reste fourmi, engrange un peu plus, voilà tout. Ils avaient un peu enfouie les mauvais jours dans leur mémoire car ses souvenirs on aime bien les réveiller, plus tard, quand tout va bien et qu'on peut faire la différence.

 


 

Depuis quelque temps, Quico avait une idée en tête. Il ne voulait pas passer sa vie dans cette mine où les hommes finissaient presque tous malades des poumons. Il entendait de plus en plus parler du Maroc où la France, malgré les obstacles dressés par l'Allemagne venait d'y établir son protectorat.

Il avait bien réfléchi, pesé le pour et le contre.

Ce soir là, alors que les enfants sont couchés, il fait part de ses projets à Joséphine. Comme tous ceux qui ont d'autres aspirations pour leurs enfants, ils sont vite du même avis et, ils décident d'aller tenter leur chance dans ce pays voisin, espérant que cette année 1912 leur porterait une deuxième chance.

Certes, ils devraient laisser en terre d'Algérie leurs parents et des enfants emportés par la misère et la maladie et c'était douloureux pour eux. Mais ils avaient l'habitude de se battre et il fallait continuer, vaincre les aléas de la vie. Le lendemain ils en parlent aux enfants vite enthousiasmés. Ils allaient faire un voyage en bateau, et c'était toute une aventure... Depuis quelques temps, ils en vivaient tellement, des aventures...

Quico donne sa démission. Son chef n'est pas très content car il perd un bon élément. Mais ne se montre pas trop surpris. Il savait bien que l'arrivée de ce gros lot allait changer bien des choses dans la famille Ivars.

Ils commencent à liquider leurs affaires. Lorsqu'ils se rendent à la banque pour prendre leur argent ils sont très étonnés lorsque Mr. Gérôme leur conseille de ne pas prendre tout cet argent avec eux. Il leur remet un certificat à présenter dès leur arrivée, à leur agence de Casablanca où leur argent serait mis à leur disposition. Joséphine est un peu sceptique mais, après quelques explications, elle veut bien croire cet homme. Après tout, M. Gérôme ne leur avait jamais menti, il n'y avait pas de raison de ne pas le croire.

 


Arrive grand jour du départ. Tous les amis sont rassemblés, à la gare des autobus. Les adieux sont interminables. Ils n'arrivent pas à se défaire d’eux.

- Fine, allez, il faut se dépêcher. Marie occupe-toi de François. Louis, José allez vous installer au fond du car. Joséphine, Antoinette, dépêchez-vous, suivez Marie. Au revoir les amis, que Dieu vous garde. Merci d'être venus nous accompagner.

- Va con Dios Francisco...Adios, Au revoir... Adieux...

Comme c'est difficile de tout quitter comme cela...

- Allez Fine, viens ma chérie.... Tu as ton sac ?

- Oui, répondit-elle entre deux sanglots... Oh ! Je crois bien que je n’ai pas dit au revoir à Fartas ?

- Mais si tu lui as dit au revoir tout à l'heure. D'ailleurs il est déjà parti. Je ne le vois plus.

Sur le marchepied, elle s'arrête une fois encore.

- Adieux, adieux mes amis...comme vous allez nous manquer.

Le chauffeur fait déjà tourner le moteur.

- Allez, en route.

- Papa, ça y est, on démarre ?

- Oui, allez, restez tranquilles.

Installés à l'arrière, ils font des signes d'adieux, longtemps.

- Adieux compagnons des bons et des mauvais jours. Qui sait si l'on se reverra un jour ?

 

 

 

5. ADIEU BENISAF !

 

Ils n'étaient pas les seuls, à Oran, à s'embarquer pour se rendre au Maroc. D'autres familles avaient eu les mêmes idées car la France avait besoin de main d’œuvre là-bas. Devant le grand hall d'embarquement, Quico rassemble sa petite famille.

- Attendez-moi là, dit Quico. Je vais voir si je connais quelqu'un qui fait le voyage avec nous.

- Mr. Ivars! Mr Ivars!

- Fartas !  Mais que faites-vous là ? S'écrie Joséphine, surprise.

- Je suis venu avec mon cousin. Son père est installé à Casa, il a un petit commerce de tissus. Je voulais vous donner son adresse Vous allez arriver là-bas et vous ne saurez où aller. Il connaît du monde, il pourrait vous aider.

- Fartas, c'est très gentil. Vous avez déjà tellement fait pour nous, ça nous gène beaucoup.

- Ah non ! Pas de parole comme ça entre nous. D'ailleurs vous n'allez pas refuser de me rendre un petit service ?

- Non bien sur. Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous.

- Voilà ! Vous savez comment on est chez nous. On n’a pas très confiance. Hier soir on parlait avec Jacob et on a pensé que vous pourriez lui remettre ceci. Ce sont des papiers de famille très importants. J'avais pas confiance dans la poste. Mais vous, je sais que je peux compter sur vous.

Quico prend le paquet enveloppé de papier journal, fermé par une ficelle rouge.

- Bien sur Fartas. Nous sommes trop heureux de pouvoir vous rendre service.

- Allez-y dès votre arrivée, dit Jacob. Ils sont dans le centre, voici leur adresse. Vous trouverez facilement. Vous direz à ma mère que je l'embrasse tendrement et que je pense beaucoup à elle. J'essaierai d'aller les voir cette année mais ça vous ne leur dites pas parce qu'ils vont m'attendre et si jamais je n'arrive pas à me libérer, ils vont se faire un souci terrible.

- D'accord. Y a-t-il autre chose que vous voudriez leur dire.

- Non, merci. J'ai tout dit dans le petit mot que j'ai mis dans le paquet. Ah si ! Si vous voyez ma sœur Sarah, dites-lui que j'ai toujours son chat et que c'est lui le maître dans la maison, ça lui fera plaisir.

 

Un homme crie quelque chose dans un porte-voix. Ils n'ont pas compris ce qu'il a dit, il y a un tel brouhaha. Cependant, comme ils voient les gens se saisir de leurs paquets ou de leurs valises et se diriger vers le quai d'embarquement, ils comprennent que c'est le moment de faire les ultimes adieux.

- Je ne sais pas si nos routes se croiseront à nouveau, mais crois bien, Fartas que jamais nous n'oublierons que c'est grâce à toi que nous avons pu manger tous les jours.

- Vous savez, le monde est petit M. Ivars, qui sait, un jour c'est peut-être vous qui me donnerez à manger. Allez, au revoir, pas adieux. Prenez bien soin de vous Mme Ivars. Shalom les enfants...Tiens, j'ai ça pour vous, je le donne à Marie elle vous les distribuera.

- Oh ! Des berlingots. Merci Fartas, au revoir !

- Au revoir Jacob. Au revoir Fartas... criaient les enfants.

- Tout va bien Chérida mia ?

- Oui, tout va bien. Demain sera un autre jour, comme disait maman ...

Le voyage est épouvantable. Après avoir passé le détroit de Gibraltar, la mer est si méchante qu'ils croient vivre leurs derniers jours et cela n'est rien en rapport de ce qu'ils éprouvent lorsqu'ils franchissent la barre, peu avant l'arrivée à Casablanca qu'ils distinguent au loin... Un haut parleur leur distribuent des consignes de débarquement.


(à suivre)...


 

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