DEMAIN SERA UN AUTRE JOUR - CHAPITRE II - 1911/1

 

CHAPITRE 2

1911

 

1. LA LOTERIE ESPAGNOLE

 

 

Alors que le soleil baigne déjà la petite ville bâtie en amphithéâtre sur les pentes de l'oued Ahmed, comme chaque dimanche matin, Quico se rend chez Jeannot au petit bar du coin. Il y retrouve son ami Antoine Torrès, Pascual ou d'autres camarades pour faire sa belote hebdomadaire. Cela le détend de sa semaine de dur travail à la mine. Hernandez, Pédro, Mathias et quelques autres se chamaillent déjà sur le terrain de boule.

- Puré ! C'est comme ça qu'tu joue ce matin ? T'y a pas digéré tes migas ou quoi !

- Qu'est-ce t'y as ? T'y es pas heureux ! Tiens mire un peu suilà, il est pas beau !

Suit un "chlac" sec. Stimulé par la réflexion de son ami, Mathias, d'un tir magnifique, avait fait voler la boule d'Hernandez au-delà des limites du terrain.

- Ouah ! tout est à refaire. Allez, vas-y Pédro, montre-lui comment qu’tu joues toi, à cet Espagnol en déroute.

- Et qu'est-ce t'y es toi, t'es pas espagnol peut-être ?

- Non mon vieux moi j'suis Valencien...

- Ola ! Francisco, ça va ?

- Bonjour les amis.

A l'intérieur du petit café, l'ambiance est plus recueillie, du moins lorsque Joseph arrive. Quelques joueurs sont déjà attablés et à leur table préférée, Antoine et Pascual l'attendent, devant un petit noir.

- Bonjour à tous. Bonjour Antoine, ça va ? Tu ne joues pas aux boules ce matin Pascual ?

- Bonjour Quico ? Je parlais un peu avec Antoine, en attendant ton arrivée.

- Tu bois un café ? Demande Antoine.

- Non, merci. Pas tout de suite. Sanchez n'est pas arrivé ?

- Je ne l'ai pas vu. Jeannot m'a dit qu'il était passé de bonne heure. Il allait aider son gendre à décharger le poisson. Tiens, quand on parle du loup...

- Buénos Dias, como estas ?

- Tu peux pas parler français non ? Depuis l’ temps que t'y es là quand même ?

- Chassez le naturel il revient au galop... Alors vous êtes en forme. Parce que moi je vais vous mettre une de ces piquettes.

- Tu ne veux pas boire un café pour te mettre en train ?

- Tiens Francisco, je suis passé chez toi, j'ai laissé quelques beaux maquereaux à Joséphine.

- Merci Sanchez. Elle devait être contente.

- Ouai, j’te crois. Dis donc, j'ai vu Marie. Elle se fait belle ta fille dis donc, bientôt tu vas te faire du souci hein ! Va y’avoir la queue devant chez toi.

- Oui, tu as raison. Mais où tu l'as vue ?

- T''inquiètes pas comme ça, chez toi pardi. Elle aidait Joséphine à trier les lentilles. J’l’avais par r’connue dis... c'est comme ton fils José, il se fait homme hein !

- Eh ! Dédé, tu fais le quatrième ?

- J'arrive ! Puré Sanchez, t'aurais pu te laver, qu'est-ce tu sens ?

- L’maquereau, dit Pascual en riant. C'est vrai que tu pues Sanchez.

- J’me suis lavé pourtant. Merde, c'est mon bleu. Qu'est-ce que j’vais prendre en rentrant ! Attendez,  j’vais l’foutre dehors.

- Ouai et emmène les mouches avec toi. Parce que depuis qu’ t'es arrivé on est envahi.

- Tu vas voir Carmen quand tu vas rentrer...

Et chacun de rajouter la sienne. L'ambiance s'est réchauffée dans le petit café de Jeannot. 

Quico est le plus calme de la bande. Il émane de lui une élégance naturelle, une certaine sérénité que ses compagnons lui envient un peu. A l'inverse de ses camarades qui sont toujours un peu débraillés, le dimanche, Quico "s'habille". Joséphine met un point d'honneur à ce que ce jour là, son vieux costume élimé ait la meilleure apparence possible. Ses chemises sont toujours d'un blanc immaculé et les chaussures qu'il porte chaque dimanche depuis son mariage, sont parfaitement cirées.

Après sa partie de cartes Quico lit le journal et commente les nouvelles avec ses amis. Par habitude, il regarde les résultats de la loterie espagnole. Il connaît bien le numéro de son billet, il s'arrange pour prendre toujours la même terminaison un "7". Cette fois, il avait même trouvé le numéro qui correspondait exactement à son année de naissance 1867.

Le chiffre là, en gros dans le journal se termine aussi par 1867. Son cœur s'emballe. Il pâlit

- Merde alors ! S’écrit-il à haute voix.

Ses amis étonnés par cette grossièreté, inhabituelle dans la bouche de Quico, le voient fouiller fébrilement dans la poche intérieure de sa veste et en sortir un portefeuille de cuir bon marché, déformé, usé par le temps. Ses mains tremblent et il a du mal à sortir d'une pochette, le billet de loterie acheté le mois précédent. Il déplie le billet, frotte ses yeux, ne pouvant y croire. Il pose le billet sur le journal, il n'y a pas de doute, c'est bien son numéro. Il va jusqu'au bar, appelle Jeannot et, tremblant, lui tend le billet et le journal.

- Dis Jeannot, tu vois ce que je vois ? Dit-il d'une voix éraillée.

- Puré ! Francisco, t'y as le billet gagnant !

- Ton.. billet là à gauche, c'est bien série B.

- Non ! Ce n’est pas possible, tu te moques de moi.

- Mais non j’me moque pas Cisco. Regarde là 921867. Et là sur ton billet, c'est bien le même numéro.   Montre-moi la série ? Série B... Putain les gars, c'est le gros lot !
Jeannot est aussi excité que son client...

- La vache ! Faut t'y faire mon vieux. J’t'ai vendu le billet gagnant ! T’y es millionnaire, t’y es millionnaire…

- Millionnaire ? T'as bien dis millionnaire et combien ça fait d'argent ça ?

- Ben ! ça fait un bon paquet de flous. T'auras assez pour vivre quelques années tranquilles, même avec tous tes gosses. Ca alors ! Purée, j’suis content pour toi et pour Joséphine. Eh ! Cisco, ça va ?

Dans la salle du petit café, règne un grand silence. Quico retourne vers sa chaise comme un zombie et s'y laisse tomber lourdement. Il est livide, les yeux hagards et répète sans cesse :

- C'est pas possible...C'est pas possible...

Il marmonne, les yeux dans le vague. Ses compagnons prennent peur. A-t-il perdu la tête ?

- C'est qu’ça doit faire un choc, disent les uns.

- T’imagines un peu, ça en fait des flous ? Murmurent les autres.

Sur les cris de Jeannot, les joueurs de boules avaient interrompu leur partie. Ils étaient tous là, autour de Francisco. Ils n'étaient pas jaloux non, un peu envieux sans doute, mais c'était humain. On peut imaginer l'effet que peut produire une pareille nouvelle, à cette époque où la population n'est pas encore blasée par le tiercé, le loto ou tous autres jeux télévisés. Et puis ce gros lot tombe dans une famille d'ouvriers dont les fins de mois sont si difficiles quelle ne mange pas toujours à sa faim. Les femmes concevaient d'énormes sacrifices, travaillaient tard le soir pour ravauder à la lumière d'une bougie ou d'une lampe à pétrole de pauvres vêtements toujours plus usés. Non, vraiment, cela tombe bien !

Antoine s'approche de Quico et pose amicalement la main sur l'épaule de son ami, pour le faire réagir

- Hé ! Francisco, ça va ?

Il ne répond pas tout de suite. Il pense à cette énorme somme d'argent qui va enfin permettre à Joséphine de mettre un peu de beurre dans ses épinards.

- Tu sais Antoine, Joséphine trime tant depuis des années. Elle élève si bien ses petits... Elle est toujours là à bichonner les uns et les autres avec une abnégation totale, jamais une plainte...Elle m'a donné de si beaux enfants...Ils sont gentils mes petits hein !... Comme elle va être heureuse... Comme je vais pouvoir les gâter...

A ces mots, tel un pantin mû par un ressort il se lève et part en courant, laissant ses amis interloqués...

- Tout de même ! Il aurait pu payer un coup à boire, dit l'un

- Laissez-le d'abord toucher son argent, répond Antoine.

- Peuchère ! s'exclame Siguerre qui était originaire de Marseille, il a perdu la boule.

- Quelle boule ! souligne bien à propos Pascual, y joue même pas à la pétanque ! Ah! Ah! Ah!

Chez Jeannot, c’est la foire.

Joseph court à perdre haleine, gravit la ruelle en escaliers qui mène à sa maison en criant.

- Phine ! Phine !

Les voisins se demandent bien ce qui se passe. Il arrive au coin du petit jardin haletant, pressé qu'il est d'annoncer la bonne nouvelle à sa femme.

- Phine !

- Seigneur Dieu ! qu'est-ce qui se passe ? s'affole Joséphine. Pour que Quico crie comme ça dans la rue, c'est qu'il est arrivé un malheur.

Elle lâche ses torchons et se précipite dehors.

- Phine ! dit-il en se jetant dans les bras de sa femme accourue. Il l'étreint de toutes ses forces, rie et pleure à la fois. Joséphine ne comprend pas.

- Pour l'amour du ciel Quico, calme-toi !

Le ton impérieux qu'elle a employé à l'égard de son mari cache mal son inquiétude. Elle se dégage un peu, l'entraîne vers l'intérieur pour le dissimuler aux regards curieux des voisins accourus aux cris inhabituels de cet homme d'ordinaire si posé.

- Explique-toi, que se passe-t-il ?

De sa gorge serrée ne sort qu'un son aigrelet... Elle se défait difficilement de ses bras, l’oblige à s’asseoir, va vers le buffet prend un verre qu'elle remplit d'eau fraîche avec la gargoulette et d'une voix douce mais ferme elle commande :

- Tiens, bois un peu. ça te calmera.

Les enfants, inquiets, se sont regroupés dans la cuisine autour de Marie. Ils n'ont vu leur père pleurer que lors de la disparition de leurs deux petites sœurs, Josépha et Carmen, quelques années auparavant. Inquiets, ils se demandent bien quel malheur a à nouveau frappé la maison. Lentement, Quico boit le verre d'eau que Joséphine lui a servi. La gorge enfin dénouée il respire profondément. Sa femme et les enfants, silencieux, sont suspendus à ses lèvres. Mais va-t-il parler à la fin ?

Il prend une grande respiration et articule.

- Fine chérie, mes enfants, c’est un grand jour pour nous. Nos misères sont finies. Nous allons pouvoir payer nos dettes et vous allez avoir des chaussures neuves.

- Quico, qu’est-ce que tu nous dis là ?

- Nous avons gagné le gros lot à la loterie espagnole.

- Dios Mio ! s'écrie Joséphine en tournant de l’œil. Ses jambes flageolent, Quico la rattrape de justesse, avant qu’elle ne s’affale sur le plancher. Il l’assoit sur une chaise et cette fois, c’est lui qui commande, affolé :

- Fine ! Fine !...Marie, apporte-moi de l'eau, vite !

Joséphine, pâlotte, retrouve peu à peu ses esprits et il réussit à lui faire avaler quelques gorgées.

- Fine ! Quérida mia, sanglotait-il en lui faisant de l’air.

Lui qui s’appliquait à parler si bien le français, chaque fois qu’il était bouleversé, le naturel prenait le dessus… il ne pouvait s’exprimer autrement que dans sa langue natale, l’espagnol. Le journal qui lui a appris la fantastique nouvelle est devenu un éventail. Il tapote les joues de sa femme, avec délicatesse et, peu à peu, elle retrouve ses belles couleurs. Les enfants silencieux attendent la suite des événements. Ils ne savent pas ce que c'est "le gros lot". Et puis, pourquoi Maman est-elle tombée dans les pommes ? Va-t-il y avoir un nouveau bébé dans la maison ? Joséphine sort du rêve et, regardant Francisco bien droit dans les yeux :

- Quico, es-tu bien sur de ce que tu avances ?

- Oui, regarde là, dit-il en pointant le doigt sur le tableau du journal.

Joséphine se redresse subitement, prend le journal, se dirige vers la table, le pose bien à plat et, à haute voix, en suivant son index, lit les chiffres 9.2.1.8.6.7.

- Fais voir le billet...

- Regarde, 9.2.1.8.6.7,

- Et la série, demanda-t-elle encore incrédule. Ah oui ! c'est la bonne.

Pas de doute possible, les numéros sont bien les mêmes. Le visage encore tendu de Joséphine s'illumine d’un coup, des larmes de joie perlent doucement sur ses joues à présent rouges de plaisir. Elle se jette dans les bras de Quico, l'embrasse, va vers ses enfants, qui n'ont toujours pas bien compris de quoi il s'agit, les couvre de baisers.

- Mes petits, mes petits... Oh ! Quico mais qu'est-ce qu'on va faire ? Seigneur, ce n'est pas possible, je rêve. Oh ! Sainte Vierge, merci, merci Seigneur !

Elle aussi maintenant rit et pleure.

- Vite, il faut remercier la Sainte Vierge... Marie, va chercher un cierge, il faut que j'aille à l'église remercier la Sainte Vierge.

Lorsque bien des années plus tard Marie raconta cet événement, elle souligna que ce qui l'avait le plus frappé c'est que lorsqu'elle revint dans la cuisine avec le cierge «Papa avait pris Maman par la taille et ils tournaient, tournaient dans une valse effrénée. Ils avaient l'air drôlement contents et ils répétaient : on a gagné ! On a gagné ! Maman semblait avoir oublié la prière. Alors pour être heureux avec eux, j'ai posé la bougie sur la table, j'ai empoigné mes frères et sœurs et ensemble, on a fait une ronde autour des parents en chantant sur l'air des lampions "On a gagné-é ! On a gagné-é ! »"

C'est un délire inoubliable qui restera à jamais gravé dans leurs mémoires.

Dans la petite ville la nouvelle se répand très vite. Tous les amis défilent pour féliciter les heureux gagnants. Les Torrès, les Zurita et Jeannot le cafetier, vient lui-même leur annoncer que M. Munoz, représentant de la Loterie Nationale, viendrait d'Alger parce qu'il tenait à leur remettre personnellement la somme qu'ils avaient gagnée. Alors ils décident de préparer une belle fête à laquelle ils convient tous ceux qui avaient toujours répondu présents lors des coups durs. Et ils sont nombreux.

Jeannot, qui a gracieusement mis la salle du petit café à la disposition de la famille, a troqué son éternel tricot marin contre un costume qu'on ne lui connaissait pas et qui, visiblement, est devenu trop petit pour lui. Les amis ont suspendu des guirlandes de papier et une grande banderole sur laquelle est inscrit «Félicitations aux heureux gagnants» trône au-dessus des tables rassemblées en U.

- Les voilà ! s'écrie Pascual.

Mal à l'aise, engoncé, Jeannot va accueillir Monsieur. Munoz et son secrétaire sur le pas de la porte. C'est qu'il est fier d'avoir vendu le billet gagnant. Et puis, peut-être qu'à la suite de ça la Loterie Nationale lui donnera une prime, comme ça se faisait à l'époque. Il pourrait refaire sa façade et apporter quelques aménagements.

- Monsieur Munoz, comment ça va depuis le temps.

- Bonjour Jeannot, alors content d'avoir fait des millionnaires ?

- Oh oui alors ! Surtout que ça tombe sur de braves gens. Ça me fait drôlement plaisir. J'sais pas si j'aurai été aussi content si c'était tombé sur un des ingénieurs de la mine. Mais laissez-moi vous présenter les heureux gagnants, Madame Ivars, Monsieur Ivars et leurs enfants, Marie, Antoinette, et tous les autres.

Après les présentations. Monsieur Munoz se lance dans un beau discours faisant l’éloge de la famille. Quico et Joséphine très intimidés se tiennent par la main, entourés de leurs enfants, ils écoutent les aimables paroles de cet homme qui est là pour leur remettre une grosse enveloppe pleine d'argent.

«-... Aussi, Madame et Monsieur Ivars, je suis heureux de vous remettre le montant de votre gros lot »...

Joséphine est perplexe. Au lieu d'une grosse enveloppe pleine de sous, comme elle se l'était imaginée, Monsieur Munoz remet à Quico, un papier bleu. Certes, il apparaît bien un montant extraordinaire : cinquante sept mille francs, mais cela ne fait pas l'affaire de Joséphine. Ce n'était pas des sous. Les mains de Quico tremblent.

- Qu'est-ce que c'est ça ? Demande Joséphine très fâchée, en arrachant le papier des mains de son mari.

- C'est un chèque Madame Ivars, répond Monsieur Munoz en riant.

- Un bout de papier ! Vous n'avez pas honte de faire de telles farces à de pauvres gens. Vous dites qu'on a gagné, on invite nos amis pour fêter ça et vous nous donnez un morceau de papier. Vous n'avez pas le droit de jouer comme ça avec les pauvres gens. Vous n'allez pas…

- Allons, allons, calmez-vous Madame Ivars…

D'un ton impératif, le responsable de la Loterie Nationale venait de lui couper la parole. Il avait l'habitude de ce genre de réaction lorsqu'il lui arrivait de remettre les lots à des gens du milieu ouvrier qui ne connaissaient que les espèces. Il est vrai que c'était la première fois qu'il avait l'occasion de remettre un tel lot, le plus gros lot gagné en Algérie depuis que la Loterie Espagnole avait été autorisée sur ce territoire.

Joséphine furieuse n'arrivait pas à se calmer. Quico ne savaient plus où se mettre, dépité...

- Nous ne nous promenons pas avec une telle somme sur nous madame Ivars, vous déposerez ce chèque à votre banque qui vous donnera votre argent.

- Mais Monsieur, nous n'avons pas de banque. Vous croyez peut-être que de pauvres mineurs comme nous on a les moyens de mettre des sous à la banque. On a tout juste de quoi manger correctement.

- Madame Ivars, je vous en prie, écoutez-moi... et il l'entraîna dans un coin où il lui parla pendant quelques instants.

- Vous me le jurez ?

- Oui Madame.

- Sur la Madone ?

- Sur la tête de mes enfants qui sont ce que j'ai de plus cher au monde.

- Bon ! Alors je vous crois. Allez Quico, tu peux nous servir à boire maintenant.

- Ah ! s’exclama la collectivité.

Bien sur, Fartas était de la partie. Joséphine, n'était pas femme à faire des promesses en l'air.

- Mes amis, je vais vous demander de m’écouter un instant, parce que j’ai une promesse à tenir. Ce petit bout de femme se plante devant le grand Fartas, qui pour l’occasion avait revêtu un costume de flanelle grise, se hisse sur ses pointes de pieds, s’agrippe aux épaules de l’homme, l’obligeant à se baisser.

- Fartas, un jour je t'ai dit que si nous avions le bonheur de gagner à la Loterie Espagnole je t'embrasserai la tête pour te remercier de toutes les bontés que tu as eues pour moi et toute ma famille. Le jour est venu de tenir ma promesse. Enlève un peu ce chapeau ridicule que tu t'es mis sur la tête aujourd'hui. Fartas devient rouge comme une pivoine de Chine.

- Allons, tu ne vas pas te faire prier tout de même, dit Pascual en riant.

- Madame Ivars, je…je…

Comme il ne s'exécute pas assez vite, Joséphine empoigne le chapeau, le jette loin et, embrasse le crâne malodorant de ce pauvre Fartas qui se met tout bêtement à pleurer.

- Y Olé ! Y Olé ! S'écrie l'assistance en chœur.

- Allons mes amis ! nous n'allons pas tous pleurer, s'exclame Joséphine

- Ah non ! C’est un jour de bonheur pour toute la famille, reprend Quico et vous en faites partie non ! Monsieur Munoz, merci pour la joie que vous apportez à notre famille et excusez le manque de confiance de ma chère Joséphine. Que voulez-vous, nous sommes des gens simples et c'est la première fois que nous gagnons le gros lot de la Loterie. La prochaine fois, on saura comment ça se passe. Allons, buvons à notre amitié et que le Seigneur vous bénisse tous amigos. A la grâce de Dieu.

- Une chanson, une chanson... demandaient les amis.

- Allez Joséphine, chante-nous quelque chose...

Pascual qui avait déjà la guitare à la main entame un sapatéo endiablé. Joséphine chante à merveille et ils reprennent tous en chœur.

Ils chantent, dansent jusqu'à une heure bien avancée... Ah ! Ce fut une belle journée et c'est une heureuse nuit. Fartas n’a pas quitté Joséphine des yeux de toute la soirée. Il est subjugué par ce petit bout de femme qui n'a pas hésité à lui embrasser la tête, tout comme Jésus le fit avec ce baiser au lépreux. Il y pense encore longtemps avant de s'endormir.

Vers trois heures du matin, lorsque le couple se retrouve enfin seul dans la petite chambre, Quico prend tendrement sa femme dans ses bras et la couvre de baisers.

- Alors, tu y crois cette fois ?

- Yo créo qué si... mais tu sais, je suis trop énervée pour dormir.

- Viens, je connais un somnifère épatant.

- Oui, je le connais ton somnifère. Il a des résultats assez surprenants.

- Tu regrettes ?

- Non, pas un seul instant.

 

...(à suivre)

 





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