REVOLUTION A VILLELAURE - Chapitre I

Publié le par Monique du Restouble

Certes, vous trouverez certainement que c’est un titre très accrocheur mais on peut dire que c’est une révolution bienfaisante. Notre village est en train de faire peau neuve  et la voie principale qui le traverse, la rue Forbin de Janson, est bloquée par les engins de toutes sortes, paralysant momentanément la circulation. Cette situation provoque bien entendu une gène considérable non seulement aux riverains, mais surtout aux  commerçants qui font grise mine. Cela va encore durer encore quelques mois mais notre village en avait réellement besoin.

Mais qui est ce Forbin de Janson ?

Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de notre village, qui s’y sont installés depuis peu, je relate ci-après, un texte écrit par :

Marcel GUENOT

Membre de l’ASSOCIATION D’ETUDES VAUDOISES et HISTORIQUES DU LUBERON

Membre du CENTRE GENEALOGIQUE DU MIDI-PROVENCE

(Édité à l’occasion de la belle fête du bicentenaire de la Révolution qui eut lieu à la Fabrique en 1989)


 

L’AFFAIRE DES PRADAS et LA REVOLUTION A VILLELAURE

 

AVANT-PROPOS 

« Quand à l’occasion du BI-CENTENAIRE DE LA REVOLUTION FRANCAISE, le « CENTRE GENEALOGIQUE DU MIDI-PROVENCE’, et « L’ASSOCIATION HISTORIQUE ET VAUDOISE DU LUBERON » demandèrent à leurs membres de faire quelques recherches sur le plan local, je me suis trouvé désavantagé. De mémoire d’historien, à VILLELAURE, terroir de mes Ancêtres, il ne s’est rien passé pendant la Révolution : pas d’émeute, pas de château brûlé ni d’archives détruites, et surtout pas de guillotine. Comme partout, le grand souffle libertaire et égalitaire est passé, mais sans laisser trop de ruines ni trop de haines. En compulsant les écrits de cette époque, bien conservés dans la maison commune ou dans les dépots du département, je m’attendais à trouver de nombreuses plaintes, délations ou dénonciations de basse morale. A mon heureuse surprise ce ne fut pas le cas…

Pourtant, un volumineux dossier, intitulé « PROCES », attira mon attention : Il s’agissait d’une longue histoire, relative à l’utilisation des ISCLES, îles et rives de la Durance, dans le quartier toujours connu sous le nom DES PRADAS, (mauvaises prairies en Provençal ancien). Tout était dans ce dossier, et tout correspondait à l’esprit de l’entreprise :

-     Le lieu, entre Luberon et Durance ;

-     Les hommes, descendant des familles souches » et les migrants vaudois ou provençaux ;

-     Les faits, qui par leurs tenants et leurs aboutissants, relevaient des droits féodaux et de leur abolition ;

-     Et l’époque qui, de Louis XI à Napoléon trouve ses temps forts sous la Révolution.

En reprenant cette longue affaire, chronologiquement, dans le contexte des différentes institutions, dans l’environnement politique et économique, on voit se dérouler la longue lutte de nos ancêtres pour l’exploitation et la conquête de la terre, l’apogée et l’écroulement de l’aristocratie, l’impossibilité d’une réforme agraire profitable aux paysans, le transfert des grands domaines aux bourgeois des villes, les prémices de l’exode des ruraux. C’est, à l’échelle d’une toute petite société villageoise, plus dans le fond que dans la forme, le reflet exact de LA REVOLUTION DE 1789.

Encouragé par le Premier Magistrat de la Commune, aidé par le personnel de la Mairie, guidé par les Conservateurs des archives de Pertuis et du département, je peux proposer aux lecteurs non un récit, mais un simple collationnement des informations qui m’ont paru essentielles pour dépasquer le plus intéressant : l’aspect humain de « l’affaire ».

Les habitants de Villelaure retrouveront dans ces pages des Noms connus de leurs familles, la description et l’évolution des lieux qu’ils arpentent à longueur d’année, et l’évocation de problèmes qui semblent aussi éternels que le travail de la terre…

Les nouveaux venus et « les estrangiers » connaîtront un peu mieux une histoire locale, passionnante et riche en péripéties, qui sortira ce modeste village de l’anonymat et de l’ignorance. ».


 

CHAPITRE I 

LE LIEU ET L’ENVIRONNEMENT

L’ESSOR ECONOMIQUE ET L’EXPLOSION DEMOGRAPHIQUE

DU VILLAGE DANS LES TEMPS MODERNES

 

 

VILLELAURE doit probablement son nom à un ancien établissement Gallo-Romain situé dans la basse vallée du Marderic : LA VILLA LAURA (1)

Au Moyen-âge, l’habitat est concentré à Trésémines, en aval du vallon de Callier, au piedmont des collines qui limitent le sud de la Vallée d’Aigues et le pays du Luberon. Une grande partie de la plaine de la Durance est marécageuse et inondable. Les coteaux, cultivés en « bancaous », dispensent alors le revenu agricole le plus intéressant par les oliviers, les vignes, et les céréales dures à faible rendement.

Au XIVème et XVème siècle, comme dans toute la Provence, les épidémies et les guerres anéantissent une grande partie de la population.

En 1452, la Maison régnante d’Anjou inféode les terres de Villelaure (sur la rive droite), et de Janson, (sur la rive gauche de la Durance), à Jean de la Terre.

En 1504, Antoinette de la Terre, nièce et héritière, épouse Jean de Forbin qui devient ainsi le propriétaire d’un fief étendu, mais pauvre et dépeuplé (1).

Un demi-siècle auparavant, plusieurs grandes Familles voisines, les seigneurs de Lourmarin, de la Tour d’Aigues, de Simiane, etc… avaient fait appel à des montagnards des Alpes Côtiennes, pour migrer vers ces terres libres et disponibles. Bien que Chrétiens, ces gens étaient de pratique Vaudoise et commençaient à subir les pressions de l’inquisition papiste.

En 1511 et 1512, Jean de Forbin installe sur ses propriétés une douzaine de familles Vaudoises de la « deuxième génération ». Moins de vingt ans après, l’inquisition commence à inquiéter la jeune population Villelaurienne : Enquêtes, procès, galères, bûcher (14).

La résistance passive s’organise, mais les Vaudois Provençaux, assimilés aux Protestants, subissent le premier choc des guerres « de religion ». Le 17 Avril 1545, sur ordre de François 1er et du Parlement d’Aix, Maynier d’Oppède attaque et brûle Trésémines et Villelaure. Gaspard de Forbin et son frère puiné Jean Baptiste, n’eurent pas ce jour-là un comportement bien chevaleresque à l’encontre de leurs vassaux (3)

Trésémine ne sera plus jamais reconstruit, mais ses pierres serviront à bâtir le nouveau Villelaure, à son emplacement actuel, les nouvelles maisons se groupant autour de l’Eglise et du four commun.

Dès le début du XVIIème Siècle, la paix s’installe et la vie sociale et religieuse s’organise. Il n’y a pas de temple Protestant à Villelaure, mais la pratique du culte est autorisée à Lourmarin, La Roque, etc. Les anciens Vaudois du lieu ne semblent pas très motivés, et les familles rejoignent petit à petit l’Eglise officielle, car la vie de tous les jours reste la  préoccupation essentielle et prioritaire.

En 1646 le premier cadastre est dressé (7). 178 propriétaires « taillables » sont inscrits.  66 habitent Villelaure, 39 habitent Pertuis, 46 habitent Cadenet, 19 habitent Ansouis. La population « fixée dans le village » doit être d’environ 350 habitants. Après le fléchissement général de la fin du Siècle de Louis XIV, la poussée démographique devient extrêmement importante. Les registres paroissiaux sont exploitables sans lacunes à partir de 1690. On peut alors estimer la Population de Villelaure à 300 habitants en1720, 500 en 1770, 750 en 1800, 1200 en 1850 (7).

En 1768, l’Evêque d’Aix en visite officielle se plaint amèrement de l’exiguïté de la Paroisse, (église), « Qui contient à peine le tiers des habitants dont le nombre augmente prodigieusement par une force de population étonnante » (8). La natalité est importante à cette époque et dépasse en moyenne 5 enfants par couple, mais c’est surtout l’immigration qui constitue le moteur de la croissance. Sur les registres paroissiaux, on relève 30 patronymes en 1646, 50 en 1710, 78 en 1780, 234 en 1850 (7). Cet excès démographique est provoqué par un appel de main d’œuvre. Comme dans toute l’Europe à cette époque, les grands voyages intercontinentaux permettent la découverte et l’importation de cultures nouvelles, qui s’adaptent bien au climat provençal. Le murier blanc et la sériciculture font l’objet d’une véritable promotion officielle. L’élevage profite à l’introduction de chèvres et de moutons d’origine asiatique, porteurs de lainages plus épais. Les produits de « subsistance » cèdent la terre aux produits négociables avec bénéfice : céréales, fibres textiles, colorants etc… Les techniques agricoles évoluent vers les labours profonds, l’arrosage artificiel, et l’on découvre petit à petit les principes et les vertus de l’assolement. La terre limoneuse de la plaine, jusqu’alors délaissée, prend de la valeur, mais le plus grave danger reste La Durance. Ce souci n’est pas nouveau. Le premier projet connu de dérivation de la rivière date de 1496 (11).

Dès le XVIIème siècle « des travaux » sont entrepris à Pertuis dans le but d’aménager correctement la prise d’eau du moulin et de protéger les chemins conduisant à la plaine et au bac (12). Ces berges factices, appelées « forts » sont constituées de pieux en bois alourdis par des pierres et des gravats. Seuls les points vulnérables sont protégés. Mais le courant des crues est rejeté d’une rive à l’autre, nécessitant des améliorations permanentes, avec les chicaneries d’usage entre populations riveraines. D’amont en aval, c’est surtout Villelaure qui va tirer profit de ces ouvrages, par un gain important de très bons terrains agricoles gagnés sur le lit du fleuve.

En 1730, Messire de Savournin de St.Jean, (gros propriétaire de Cadenet), dépose une requête pour construire un canal d’arrosage de Pertuis à Lauris. Il s’agit d’un projet remarquable par son ampleur et ses objectifs. Le projet est abandonné devant l’hostilité des gens de Pertuis, et ne sera réalisé que deux siècles plus tard. Le relais va être pris par le Seigneur de Villelaure.

En 1760, il fait édifier un « fort » en pierres sur la rive droite de la Durance à la limite amont de son territoire, assurant d’une part la protection d’une centaine d’hectares de terres, et permettant d’autre part, la prise d’eau d’un canal d’arrosage irrigant la quasi-totalité de ses propriétés (13). Le rendement et le prix du foncier vont faire un bond énorme. Entre 1650 et 1850, si le prix des « coustières» reste inchangé, le prix des terres irriguées va quintupler (estimation plutôt basse en francs constants). (9)(10).

D’après les baux de fermage, le revenu est toujours estimé à 5% du bien-fonds. On voit que la mise en valeur de la vallée est une source de profits importants pour le propriétaire, en l’occurrence le seigneur. Par la convergence de ces éléments : produits nouveaux, main-d’œuvre, investissements, ouverture au commerce, le terroir de Villelaure se présente comme un champ d’application exemplaire des nouvelles doctrines économiques dites des « physiocrates ». La Révolution n’apporte pas de réforme agraire. Les grandes propriétés restent intactes, passant des mains du seigneur dans celles des grands bourgeois. L’élite villageoise est constituée à cette époque par de véritable dynastie de fermiers, responsables de ces domaines, et qui profitent d’une large part de cette richesse. Il en est tout autrement des ménagers, propriétaires de faibles étendues amoindries par les partages et contraints de travailler comme journaliers. L’excès de population se fait sentir après le Premier Empire et la baisse des revenus va, comme dans toute la France rurale, provoquer l’exode vers les villes industrielles. Le milieu du XIXème siècle marque le début de la décadence économique et démographique.

En 1789, à Villelaure comme dans tout le Royaume, le climat social se détériore. La lutte pour la conquête de la terre ne se manifeste pas par l’exaction et l’émeute, mais la volonté populaire, digne, persévérante et unie, réclame justice…

 

(Sources, notes et bibliographies voir annexe II)

 


(à suivre CHAPITRE II)

 

 

 

Publié dans COUP DE COEUR

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