EDGAR DEGAS -

Publié le par Monique du Restouble

A Paris, au MUSEE D’ORSAY, a lieu la première grande exposition monographique « DEGAS ET LE NU ». Elle a vu le jour le 13 mars dernier et durera jusqu’au 1er juillet 2012. J’envie tous ceux qui auront l’opportunité de faire le déplacement jusque dans la capitale pour admirer le travail de ce grand peintre qui n’hésite pas à s’exprimer dans tous les styles, d’explorer toutes les techniques – peinture, sculpture, dessin, monotypes et surtout le pastel-.

 

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« La peinture, c’est très facile quand vous ne savez pas comment faire. Quand vous le savez, c’est très difficile ».

«Le dessin n'est pas la forme, il est la manière de voir la forme.»

«C'est très bien de copier ce que l'on voit ; c'est beaucoup mieux de dessiner ce que l'on ne voit plus que dans sa mémoire.»

 

C’est ce que disait Hilaire Germain Edgar de Gas, né  à Paris, le 19 juillet 1834. . Ce n’est que plus tard, une fois en possession de tous ses moyens, qu'il renonça à l’orthographe aristocratique de son nom pour signer simplement « Degas ».

Il est pourtant surprenant que ses dons artistiques aient pu s’épanouir dans un milieu qui semblait devoir lui être nettement hostile et même fatal  puisqu'il était né dans une famille riche. Par eux il appartenait à la haute société, pétrie de conservatisme vieux jeu, de bon ton et de préjugés.

Son père Auguste, était un banquier des plus respectables, à une époque où la banque était affaire de famille. Auguste de Gas  -né à Naples, d’un père émigré français et d’une mère italienne- avait épousé une créole de la Nouvelle-Orléans. Ces apports de sang étranger contribuèrent certainement  à atténuer chez Edgar la froideur et la réserve de l’esprit bourgeois français. Son père, en outre, était passionné de musique : organiste amateur, il jouait toutes les semaines dans une église de Paris.

 

En tant que fils aîné, Edgar était naturellement destiné à reprendre l’affaire familiale. Il fréquenta donc le lycée, comme il convenait, mais ne remporta guère de place de premier qu’en dessin. Sur ses carnets, au milieu des maximes et des lectures propres à cultiver l’esprit, il esquissait toutes sortes de portraits imaginaires, de figures de profil. En secret, il caressait un rêve qui ne le quittait guère : devenir un artiste. Au bout de plusieurs années, il réussit à obtenir l’accord de son père. Il s’inscrivit alors à l’atelier de Louis Lamothe, ancien élève d’Ingres.

A cette époque, entre 1850 et 1860, Paris était agité par des écoles et des maîtres rivaux. Le plus puissant était Ingres, dictateur du néo-classicisme : il dessinait magnifiquement et avait fait du dessin l’essence même de son art. A l’opposé se situait le romantique Delacroix, champion de l’inspiration, qui mettait l’accent non pas sur la forme, mais sur la couleur, source d’émotion. C’est lui qui avait fait revivre, avec un art étincelant, le mouvement impétueux de l’art baroque. Les réalistes, d’autre part, s’étaient groupés autour de Courbet, ce paysan robuste et tendancieux d’Ormans (Doubs), dont la sève vigoureuse représentait un élément nouveau dans la peinture du dix-neuvième siècle. Il y avait enfin les peintres de Barbizon, sincères, doués, mais souvent fastidieux, qui alliaient la minutie des Hollandais et des Anglais au nouveau réalisme scientifique. L’un d’eux, pourtant, fut un maître que Degas put admirer : Corot, ennuyeux quant il prenait le style arcadien officiel, mais exquis dès qu’il laissait transparaître toute la fraîcheur de sa sensibilité. Il est significatif que Degas se soit rangé dans l’école d’Ingres  il y trouvait les artistes les plus respectables, les plus proches de son milieu aristocratique.

Qu’a-t-il  apprit chez Lamothe ? Tous les procédés académiques de l’époque : comment exécuter une grande composition historique, depuis le premier coup de crayon d’après modèle jusqu’à la dernière retouche, qui ne doit rien masquer de la netteté du contour de chaque personnage. C’étaient encore les préceptes de David, fondateur du néo-classicisme à l’époque de la révolution  française ; mais toute ardeur d’avant-garde était absente des médiocres enseignements de Lamothe. Si Degas n’avait pas assidûment fréquenté le Louvre pour y copier les primitifs italiens du quinzième siècle, s’il ne s’était pas plongé dans l’étude de Mantegna, Dürer, Rembrandt au Cabinet des Estampes, il aurait pu se perdre à jamais. Mais il était capable de « désapprendre » l’après-midi ce qu’il avait appris le matin même.

A Paris, il avait suivi peu de temps l’enseignement conformiste de l’Ecole des Beaux-arts. A Rouen, il se tint tout à fait à l’écart de École Française.

Dès l’âge de vingt ans, puis plus tard à plusieurs reprises, il eut la chance de voyager en Italie qu’il parcourut, dans un délire de joie, les yeux grands ouverts sur ses œuvres d’art. Son journal de voyage montre un jeune homme intelligent sensible et très impressionnable ; il n’a pas honte par exemple de se sentir les larmes aux yeux à Assise, ni de manifester sa stupeur et son enthousiasme devant les Signorelli d’Orvieto. Il ne cessa d’étudier, de copier, de prendre des croquis, et sa réussite ultérieure dans l’art du portrait s’explique dans une large mesure par cette compréhension des maîtres italiens des quinzième et seizième siècles.

Il s’essaya à plusieurs reprises à de vastes compositions mais ne fut jamais satisfait. Alors il se tourna vers le portrait et mit à profit son sens aigu de l’observation et sa connaissance du dessin de toutes les époques. 

Les séries de petits portraits où il a saisi, sans indulgence, ses propres traits mobiles et un peu mélancoliques, ou les études pénétrantes qu’il a faites de sa famille nous montrent un Degas qui ne s’embarrasse ni de recettes ni de règles. Ils révèlent une conception nouvelle du portrait qui met l’accent sur l’intimité et le naturel plutôt que sur le formalisme d’atelierer.

Tous ses personnages sont des amis ou des membres de sa famille. Il n’a jamais exécuté de portrait sur commande. La sympathie entre l’artiste et le modèle était une condition première de son art.

Avec les modèles de son choix, Degas agissait en tyran. Un jour, il s’interrompit en plein milieu d’un portrait qu’il faisait de Mme Dietz Monnin, parce que celle-ci s’était mise à lui faire des suggestions ; il avait commencé quelque chose à sa manière et il constatait qu’elle lui imposait peu à peu la sienne. Lorsqu’une jolie femme désirait poser pour lui, il lui disait sans détours : « Oui, j’aimerais bien faire un portrait de vous, mais je vous ferai mettre un bonnet et un tablier comme une petite bonne. »

Degas avait pris la manie de garder ses œuvres de jeunesse. Pendant des années, il s’était refusé à les exposer et il détestait vendre, fût-ce le moindre dessin. Protégé du monde par une porte bien verrouillée, l’artiste vieillissant travaillait sans relâche, tantôt puisant une idée dans une esquisse pieusement conservée, tantôt décidant de gratter et de repeindre un morceau d’une toile vieille d’un demi-siècle. Il écartait avec courroux critiques et marchands de tableaux, pour lesquels il éprouvait une égale aversion. « Les mots, disait-il, n’ont rien à voir avec l’art ». Son atelier était sacré. Laisserait-il des commerçants venir le profaner ? Seuls quelques intimes pénétrèrent dans cette chambre obscure où s’amoncelaient les fruits d’une vie entière.

Pourquoi Degas continuait-il à travailler ? Parce qu’il le fallait ; Cela le consolait de la vieillesse. Il travaillait aussi pour un petit  cercle d’amis, pour des inconnus susceptibles de le comprendre, pour quelques grands maîtres admirés qu’il avait cherché à égaler, malgré la tension de la vie moderne et ses conflits intimes.

Il parvint au terme de son activité, complètement privé d’un œil, voyant à peine de l’autre. Bien qu’avant la première guerre mondiale des tableaux eussent atteint une grande valeur, il n’en profita guère. A la vente Rouart, Mrs. Havemeyer acheta Danseuse à la barre pour plus de quatre cent mille francs et le peintre reçut les hommages de la presse ; il eut la force de remarquer : « Je suis comme le cheval qui gagne le Grand Prix et qui n’a que son avoine. » 

 

Les quelques personnes qui l’ont vu trébucher, aveugle, dans les rues de Paris, silhouette démodée et quelque peu négligée –lui qui autrefois avait été si élégant- évitant les taxis, dans la peur constante d’être écrasé, remarquèrent un changement dans son expression. L’humeur sombre qui avait jadis plissé sa figure avait disparu. Son visage avait, disent-ils, le pathos et la dignité de celui d’Homère.

Lorsqu’il mourut  en 1917, un très petit nombre de ses tableaux -représentant surtout des danseuses- étaient exposés dans les musées. Une fraction de son énorme production demeurait enfouie chez les collectionneurs tandis que la majeure partie, toiles, pastels, gravures, sculptures, restait entassée dans son atelier poussiéreux et inaccessible.

Il savait également que le monde serait étonné d’apprendre un jour quel dur labeur il avait accompli.

En cela il avait raison. Lorsque après sa mort son atelier eut livré, par centaines, ses dessins et ses tableaux ; Lorsque à Paris on les eut mis aux enchères en quatre énormes ventes ; Lorsqu’on eut recueilli avec vénération ses sculptures de cire desséchée et de glaise cassée, qu’on les eut rassemblées et coulées en bronze, sa vraie mesure fut alors révélée : Degas apparaissait comme l’un des grands artistes de son siècle, un dessinateur de ressources et de vitalité extraordinaires, un portraitiste des plus subtils que la France ait produits et un coloriste hallucinant qui, tout à la fin de sa vie, parvint à un style puissant, réellement expressif.

(source : DEGAS par D.CATTON RICH - Nouvelles éditions françaises 1959)

 

 


 

Publié dans COUP DE COEUR

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