DJIBOUTI, Sagalou, Randa,la forêt du Day

Publié le par Monique du Restouble

(Extrait de mon journal : Mai 1991)

Nous poursuivons notre périple vers le nord du pays sur la "route de l'unité".

Cet axe routier de 130km de bitume, qui relie Djibouti à Tadjourah via le Ghoubet-al-Kharab, était l'un des grands objectifs du président et du gouvernement dès le lendemain de l'accession à l'indépendance. Le but était de désenclaver le nord du pays et assurer un équilibre économique entre le Nord et le Sud. Il a fallu plus de dix ans pour mener à bien ce projet.  La "Route de l' a été inaul'Unité" a été inauguré le 24 juin 1988. Cette extension du réseau routier a été rendue possible grâce aux Fonds saoudien de développemet, qui à couvert 90% des 6 milliards de francs Djibouti quà couté cette réalisation. C'est une entreprise yougoslave qui s'est vu confier l'ensemble des très difficiles travaux menés durant trente-cinq mois, compte-tenu des températures extrêmes que les ouvriers ont eu à subir. Aussi, grâce à eux, le trajet Djibouti-Tadjourah qui demandait auparavant douze heures de route, peut être effectué en deux heures, par n'importe quel véhicule.

 

RD DJ Route Unité

La route longe la mer ou du moins le bord du Ghoubet et j’ai une envie folle de tremper mes pieds dans cette eau turquoise si transparente mais nous n’avons plus le temps de nous arrêter. Nous sommes même un peu en retard car nous avons rendez-vous à la fin de la route de l’Unité, à Tadjourah, avec Saïdo (un collaborateur djiboutien) qui bénéficie d'un appartement de fonction au dessus de l'agence à Tadjourah, a bien voulu mettre sa maison de Randa à notre disposition pour la nuit.

Au fur et à mesure que nous roulons, cette fois dans un décor un peu plus avenant, la chaleur diminue et nous pouvons respirer l’air salin du Ghoubet. La mer est calme comme un lac et le temps est clair. Nous avons presque fait le tour du Ghoubet. Nous apercevons encore la rive, en face dans les montagnes mais l'on distingue à peine l’Île du Diable, tout a fait à gauche.

Nous arrivons à  Sagallou, (nom d’une oasis qui a pris le nom de l’oued –aujourd’hui à sec- qui se déverse dans la mer). Une belle palmeraie avec les pieds dans l’eau. Mer et ombre, que demander de plus, l’idéal. Là des biquettes broutent tranquillement. C’est la plage à perte de vue, sur 12 km, jusqu’à Tadjourah. Au passage quelques gazelles, pas trop farouches, élégantes et gracieuses, se laissent prendre en photo.


RD_DJ_Palm_SAGALOU-copie-1.jpg  RD DJ RANDA GAZELLES

Et voiciTadjourah, la ville blanche (la ville aux 7 mosquées). C'est la plus ancienne ville de Djibouti, puisque des écrits du XIII° siècle attestent son existence. En fait, des sultanats, des principautés quasi indépendantes, rattachés de loin au pacha de Hodeida, représentant de la Sublime Porte, s'étaient organisés sur les côtes et dans l'arrière-pays immédiat. Les chefs de ces principautés vivaient des dîmes perçues sur les caravanes qui faisaient le trafic avec l'intérieur. Ce n'est qu'au XV° siècle qu'apparurent, avec les sultanats de Gobaad, Tadjourah et Rahyata, les structures sociopolitique du peuplement afar. Au XVI° siècleTadjourah devint le siège du sultanat afar d'Ad-Ali Abli.

 Arthur Rimbaud y avait son pied à terre lorsqu'il vivait de son trafic d’armes vers l’Ethiopie pour le roi Ménélik II.

Saïdo arrive dans son 4X4 Toyota, caisse courte. Environ 35 ans, rondelet, chevelu, moustachu et sympathique. Il est accompagné de sa femme, à peu de chose près le même âge, en tenue du pays, les mains et les pieds enjolivés par de savants dessins faits au Henné, comme le font toutes les femmes musulmanes les jours de fêtes. C’est ravissant. Elle est un peu ronde mais c'est normal. Elle a mis six enfants au monde dont les dernièrs, des jumelles, n’ont que quinze mois. Cela ne l'empêche pas d'arborer un superbe sourire qui illumine son joli visage, lui faisant une espèce de hora.

 Après les présentations, nous ne nous attardons pas à Tadjourah. Nous suivons Saïdo qui ouvre la route et prenons la direction de Randa, qui se trouve à  25 km environ. Si la route est belle, par rapport à une piste, elle manque néanmoins d’entretien, mais elle est pittoresque à souhait.

 

RANDA

 

Randa est un poste administratif, situé à une altitude de 700 m, dans une belle vallée verdoyante. Elle bénéficie d’un climat frais bien agréable qui permet le développement des jardins fruitiers, et les pluies abondantes qui tombent sur le proche massif du Day, à 17 km, lui fournissent de nombreuses sources.

Un peu avant Randa, nous passons devant le très pittoresque centre d’estivage de Bankoualé qui fait la réputation de la région.

La maison de Saïdo se trouve au pied du village et jouxte une splendide bananeraie entourée de flamboyants, cytises et arbres fruitiers comme manguiers, orangers, jujubiers. Il y a même des palétuviers centenaires dont le tronc de l'un fait au moins 6 m de circonférence. Leurs racines tortueuses sont impressionnantes et leur stature imposante fait penser à nos chênes centenaires. Ils sont si vieux qu'ils sont menacés de disparition.

Bien que la maison de Saïdo est construite à la mode du pays (murs pas très droits, angles incertains, etc.) elle bénéficie d’une belle salle de séjour avec cheminée car ici, l’hiver, la température descend jusqu’à 10°C.  Les plafonds sont garnis de gros ventilateurs. La vaste cuisine est assez bien équipée; il y a même un réfrigérateur en état de marche et l’eau courante grâce à la source.  Le village possède un énorme générateur qui fourni l’électricité jusqu’à 1 ou 2 heures du matin. Après, plus de jus jusqu’à 6 h. Il y a également deux grandes chambres et un cabinet de toilette avec douche et WC. Toutes les pièces donnent dans un jardin, (entièrement muré à la manière de toutes les maisons arabes), où mangues, goyaves, bananes et tomates côtoient œillets d’inde pervenches et autres légumes dont je ne connais pas le nom. Dans le fond, je remarque une balançoire pour les enfants.

Les fauteuils à l’orientale du séjour/salon sont très confortables mais nous préférons rester un peu dehors où la température est idéale, environ 25°C, ce qui nous repose de la touffeur de la ville. Pierre Fouquet a tout prévu pour le dîner. Les hommes descendent la « cantine de brousse » et nous servent l'apéro.

La femme de Saïdo, ne parle pas le français mais comprend bien mon arabe ce qui fait que nous pouvons dialoguer sans problème (et lorsque j'éprouve une difficulté, Souad vient à mon secours). Elle nous sert de délicieux beignets à la viande (des samoussas), et une salade de petits légumes frais pendant que les hommes préparent le brasero pour faire cuire les grillades.

Les notables du coin viennent nous saluer, nous souhaiter la bienvenue, car ils sont très touchés que nous ayons accepté l'hospitalité d'un des leurs, plutôt que d'aller dormir au Centre d'estivage. Nous dînons dans le jardin où nous avons la chance de ne pas être agacés par les moustiques. Seuls quelques chats abyssins, magnifiques, hauts sur pattes, élégants, les oreilles longues et hautes sur le dessus de la tête, sont attirés par l’odeur de la viande grillée et font un festin avec nos restes. Les tisserins, sans doute dérangés par la lumière, nous jouent leur sérénade alors que la nuit est tombée depuis un bon moment. Après le repas, devant un bon thé à la menthe, nous apprécions la soirée, la fraîcheur et les odeurs mêlées des flamboyants, cytises et autres jasmins.

Vers dix heures, Saïdo et sa femme retournent à Tadjourah, nous laissant leur maison pour la nuit. Nous ne traînons pas et allons nous coucher car nous devons nous lever de bonne heure si vous voulons partir assez tôt pour bénéficier de la fraîcheur et de la bonne visibilité pour franchir la forêt du Day qui se trouve tout de même à 1500 m d’altitude. Ce n'est qu'à une quinzaine de kilomètres de Randa mais on y accède par une piste pas très commode.

Comme toujours, je suis la première levée suivie de très près par Pierre. Christian et Souad, nos deux marmottes dorment encore un peu. Je me demande d’ailleurs comment ils pouvent encore dormir car les habitants ont lâché toutes leurs bêtes dans la nature. Elles vivent en liberté, vont où elles veulent, pratiquement sans surveillance et regagnent la maison de leur maître, à la tombée du jour.  Il y a vraiment de tout : des poules qui caquettent pour rassembler leur horde de poussins ; Des coqs qui célèbrent la levée du jour avec force « cocorico » ; Des chèvres bêlantes, des moutons, buffles et zébus. Toute cette animalerie s’en va du même côté, vers les bords de l’oued où reste encore un filet d’eau salvateur. Là poussent naturellement des pervenches géantes qui atteignes jusqu’à 80 cm de haut, en touffes énormes, faisant de cet endroit un superbe jardin naturel.

J’ai un faible pour les chèvres habillées de façon différentes, qui trottinent élégamment  perchées sur leur petits sabots. On dirait qu’elles marchent sur la pointe des pieds.

 

FORET PRIMAIRE : LE DAY - MONT GODA


Vers 8heures, nous quittons Randa pour le massif du Day située sur les pentes du Mont Goda (1782m), sous les  saluts de la population déjà à l'ouvrage.

Nous prenons une piste qui serpente pendant une quinzaine de kilomètres avant d’atteindre la forêt. Je suis absolument épatée par ce paysage sauvage et, tout à coup, tout vert, avec des toukouls toujours aussi bien rangés et bien propres.

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Pierre fait une halte car il a aperçu des termitières et veut nous les montrer de plus près. En mettant pieds à terre, nous faisons fuir des milliers de minuscules sauterelles qui s’égaient à notre passage. Nous passons sous des mimosas en fleurs, écartons des plantes grasses superbes et j’ai peine à marcher sur ce parterre de fleurs jaunes, à mi chemin entre nos pissenlits et nos pâquerettes, sur la menthe sauvage et autre flore dont je ne connais pas le nom.

RD_DJ_FORET-DAY2.jpg  Les termitières sont impressionnantes, parfois aussi hautes que moi.

Nous arrivons dans la forêt du Day, où le climat est sans doute le plus agréable du pays. Les nuages demeurent souvent à mi-pente du Mont Goda (1700m) qui coiffent les vestiges d’une forêt primaire. Des genévriers géants, des acacias, des oliviers sauvages ainsi que des jujubiers et autres spécimens d’une flore rayée de la surface de la terre. Cette forêt couvre une superficie de 3,2 km2 qui a été érigée en Parc National.

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En présence du brouillard, la condensation qui se produit est considérable. Le sol, trempé comme après une averse, dégage une humidité bienfaisante qui permet aux plantes et aux arbres de subsister malgré des pluies trop espacées. L’hiver, de décembre à mars, la température descend, certaines nuits, à quelques degrés à peine au-dessus de zéro. Suivant les géologues, le Day est un aperçu de ce que devait être la végétation des montagnes du Sahara et de l’Arabie avant les grandes perturbations climatiques et la destruction des forêts par l’homme depuis des millénaires.

Au sommet du Day, la résidence d’été du Président de la République, Hassan Gouled Aptidon, est un peu à l’abandon semble-t-il. Mais lorsqu’il décide d’y inviter quelques notables étrangers, son personnel vient remettre en état et apporte tout le confort. Il y a même la télévision (le relais est juste en face) et l’électricité grâce à un groupe électrogène.

La propriété, entourée de grillages surmontés de fil barbelés (c’est dommage, ça choque), surplombe la vallée. Elle bénéficie d’un point de vue admirable et l’on comprend mieux cette fois, pourquoi il faut y venir tôt, alors que la condensation est encore nulle.

Le ciel est d’un bleu foncé, limpide, la nature s’éveille à peine à la douce chaleur du soleil, lorsque tout à coup, quelques cris bizarres attirent notre attention. Il y a énormément de singes. Pierre nous explique que ce sont des semnopithèques. Ils mesurent à peu près 75cm. Eux ça va, ils n’attaquent pas. Mais il faut se méfier des cynocéphales. Ils sont assez vindicatifs et agressifs. Notre collègue Jean-Luc en sait quelque chose. Ils se sont fait attaquer par un groupe d’une quinzaine d’individus, alors qu’ils pique-niquaient avec sa femme et un autre couple d’amis. Ils leur ont volé cigarettes, nourriture et ont même failli emporter la cantine de brousse. Ils en ont été quitte pour la peur !

On les a vu plus tard mais comme nous n'avions pas de nourriture, si on les a fort intrigués, ils ne nous ont pas approchés.

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Nous voyons beaucoup d’oiseaux, tisserins, colombes, rapaces divers et des genres de faisans, corneilles etc. Il y a également beaucoup de lézards verts, énormes, et une flore très variée. Nous trouvons aussi, malheureusement, beaucoup d’énormes arbres à terre, qui finissent de mourir car cette forêt n’est pas entretenue et ces arbres rares,  acacias géants, genévriers, oliviers sauvages, et jujubiers couverts de lichen qui pendent comme des voiles usés, sont appelés, eux aussi, à disparaître.

Après une ballade de deux heures, nous redescendons vers le complexe hôtelier de Bankoualé où Saïdo a réservé pour le déjeuner ; Sa femme est resté à Tadjourah pour s'occuper de ses enfants.  La chaleur est légèrement montée, il doit faire 27 ou 28°C. L’hôtel dispose de chambres climatisées et l’on peut venir y passer plusieurs jours.

Nous prenons l'apéro en attendant la préparation de notre repas, qui a été commandé par Saïdo, ce sera donc la surprise.

RD_DJ_CABRI-FARCI.jpg les hommes en train de préparer le cabri

Une 1/2 heure plus tard, on nous sert une salade mélangée faites de tomates, œufs durs, poivrons parfumés à une herbe que je ne connais pas et qui ressemble un peu à du cresson. Puis on nous apporte du cabri, fraîchement égorgé du matin, rôti au feu de bois et farci de riz aux petits pois, c’est fameux. La salade de fruits frais qui suit avec mangues, goyaves et bananes est délicieuse. Tous les produits sont du cru, excellent déjeuner.

Comme il fait de plus en plus chaud, tout le monde est d’accord pour aller faire une petite sieste chez Saîdo avant de reprendre la route du retour.  Les hommes et Souad se laissent emporter par les bras de Morphée, pas moi. C’est terrible mais je n’arrive pas à dormir l'après-midi pourtant, sous ces latitudes, la sieste est essentielle à un bon équilibre. L’habitude viendra peut-être. Il paraît, qu’au début, il faut se forcer un peu, après on ne peut plus s’en passer !

Vers 15 h 30, tout le monde est en forme. Départ de Randa. Nous faisons nos adieux à Saïdo, le chargeant de transmettre nos chaleureux remerciements à son épouse et nous embarquons à bord du 4X4 chargés de bananes, de mangues etc. Ils voulaient même qu’on emporte du cabri mais nous avons refusé, il aurait viré avec la chaleur....

 

PS : Je viens d'avoir des nouvelles de Djibouti et un article m'a donné des frissons dans le dos.  Aujourd'hui, la forêt primaire du DAY, qui était déjà dans un triste état en 1991  EST EN TRAIN DE MOURIR, tout comme la population de la Corne de l'Afrique.

La région dans son ensemble connaît des difficultés depuis des décennies à cause de la raréfaction des pluies; Toute la Corne de l'Afrique souffre du manque de nourriture  car la capacité de régénération des puits et des pâturages dépend des précipitations... Il en va de même pour l’état général du cheptel et l’équilibre économique et alimentaire des ménages nomades ou sédentaires, pasteurs ou éleveurs.

En 2009, le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM), a octroyé à la République de Djibouti un cofinancement de 1 million d’Euros destinés à la mise en œuvre d’actions de sauvegarde de la forêt de genévriers du massif du Day. Mais n'est-il pas trop tard ? Cette aide a-t-elle bien servie à cette cause ?





Publié dans VOYAGES

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G
un tres bon souvenir de cet foret .partie au service militaire en 87 88 .merci pour votre article.
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D
Merci pour votre article, Je le découvre seulement, j'ai parcouru autrefois, en 77-78, tant que soldat ces lieux merveilleux et fantastiques. Bonne continuation .
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R
<br /> j'ai moi aussi été dans ce magnifique endroit qu'est la foret du day,ses arbres alluscinant,ses cynos,ses scorpions,migales,araignées couteaux,boeufs,anes sauvages,cette fameuse fosse<br /> impressionante,immense,j'ai découvert ce jour la,la vraie afrique je j'attendais,sauvage,naturelles tel qu'il y a des millions d'années,a part la route"piste"qui y mène!!!alors que j'entends que<br /> le gouvernement djiboutien a eu 1 cofinancement d'1 million ,moi je pense qu'il est trop tard d'une,que l'argent ne sera pas utilisé dans ce but,et que ce n'est pas suffisant,je pense que nous<br /> sommes l'une des dernière générations(nos enfants peut etre)a pouvoir s'émerveiller de cet endroit.....<br />
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M
<br /> <br /> Merci d'avoir réagi à mon article Pascal... je garde un excellent souvenir de notre séjour à Djibouti... qui est aujourd'hui en pleine expansion touristique... et je souhaite que la population y<br /> trouvera son compte... mais cela reste à voir.<br /> <br /> <br /> <br />