Hommage au poète Lucien FREREJEAN (6)
LA PIEUVRE
Gilliatt l’avait vaincue et on la croyait morte,
Gisant épave molle au fond de l’océan ;
On la croyait crevée et la voici pourtant
Bardée de fer, d’acier, renaissante et plus forte.
Voyez-là, ondulant sur tous les continents,
Jetant toujours plus loin ses vastes tentacules
Dévorant nos cités jusqu’au moindre édicule,
Asphyxiant nos forêts, nos ruisseaux et nos champs.
Son œil nous hypnotise et ses bras nous enserrent,
Et malgré nous séduits, nous lui abandonnons
Nos places et nos rues, nos parcs et nos gazons
Sous les regards heureux de ses thuriféraires.
La télé, la radio rivalisent d’éloges.
Plus longs, plus rapides, plus riches en confort,
Chacun de ses anneaux, utilitaire ou sport,
Nous ruine et nous meurtrit sans qu’on ne s’interroge.
Rivale de Moloch, chaque année plus avide,
Elle exige son du de sacrifice humain,
Et le peuple ravi applaudit des deux mains
Le séduisant démon qui le broie impavide.
Elle se rit du fou qui pourtant prophétise
Avec la pollution, la fonte des glaciers
L’asphyxie de la terre en un corset d’acier
Et en vain en appelle à nos matières grises.
Mais peut-être qu’un jour, sous des tas de ferraille,
Venus on ne sait d’où des étranges Aliens
Exhumeront surpris des os d’homo sapiens
Que le poulpe enfin mort cachait en ses entrailles.
Lucien Frèrejean
Extrait de « Errances »